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samedi 18 décembre 2010

L'immortalité par les voies de l'esprit ou les voies naturelles ?

















Depuis des siècles, les hommes écrivent pour laisser une trace de leur passage et de leurs pensées aux générations à venir. Beaucoup ont échoué (les anthologies recèlent d'un nombre incalculable de noms d'auteurs qui resteront à jamais inconnus), d'autres y sont parvenus pour avoir produit jadis une œuvre qui reste intemporelle ou pour avoir été des électrons libres, inclassables, novateurs ou « bousculeurs » d'idées reçues. Les hommes qui écrivent le font sans remords, sans sentiments de culpabilité. L'écriture est une évidence dès que le besoin s'en fait ressentir. Oui, mais voilà, tout homme rêve ou a rêvé de connaître un jour son « quart d'heure de célébrité », au pire, ou l'immortalité, au mieux. L'écriture en est une voie et sans doute la meilleure pour transmettre ses pensées, ses analyses, ses angoisses existentielles avec le dessein que l'écrit permet sinon une thérapie, au moins un exutoire. Rien n'est plus grisant pour un écrivain qu'un lecteur qui avoue adhérer et partager les mêmes questionnements et trouver dans les réponses apportées un apaisement à ce qu'il vit. Et si ce lecteur ne faisait qu'écho à des milliers d'autres ? Lecteurs se multipliant encore dans les générations suivantes ? N'est-ce pas déjà là une part d'immortalité ? Nancy Huston écrit dans « Journal de la création » un passage d'une grande justesse. Parfois, en bibliothèque, je pense aux millions de livres médiocres, aux gros tas de savoir périmé ou erroné qui ne feront plus jamais qu’accumuler de la poussière… Je pense aux millions d’épouses qui ont fait taire des millions d’enfants afin que les hommes puissent écrire ces livres-là (chut ! Papa travaille !) et je me dis qu’en fin de compte la véritable perte de temps était souvent l’écriture. N’aurait-il pas mieux valu pour tout le monde que ces hommes jouent avec leurs enfants ? Combien d'écrivains sont-ils entrés dans la postérité ? Qu'est-ce que la postérité en fin de compte ?

L'un de mes fils doit lire pour son examen de français « L'Assommoir » d'Émile Zola. Découragé par les cinq cents pages (imprimées avec une police d'écriture à peine lisible), il a trouvé l'astuce de visionner le film « Gervaise » de René Clément, tourné en 1956, avec Maria Schell dans le rôle de l'émouvante blanchisseuse. En visionnant le film avec lui, je parcourais les pages de l'œuvre de Zola, tentant de m'imprégner simultanément de l'univers de Zola et de celui de René Clément. Bien sûr, les classiques doivent être lus, bien sûr, ils doivent continuer d'être proposés aux nouvelles générations qui, si ce n'est pour découvrir le roman réaliste, prennent au moins connaissance de certaines réalités historiques. Mais la méthode proposée par les enseignants est-elle la bonne ? Le style, les phrases, le vocabulaire de Zola ne nécessitent-ils pas d'abord une approche ludique, une véritable initiation ? « Nuit d'encre pour Farah », mon premier roman (contemporain et facile à lire) est aujourd'hui un classique scolaire. Je donne, chaque année, plusieurs conférences dans les écoles pour débattre avec les jeunes des thèmes que j'aborde dans ce livre. Après chaque débat, je réalise que l'avantage qu'ont ces jeunes par rapport à d'autres est que ma venue a permis d'éclaircir beaucoup de points restés dans l'ombre concernant la trame et le contexte. Évidemment, ni Zola, ni Flaubert ne pourraient venir dans la classe de mon fils pour mener un débat avec lui et ses condisciples sur les circonstances de leur écriture mais il est dommage que les cinq cents pages de leurs romans semblent, aux yeux des ados, comme une montagne infranchissable. Si l'immortalité d'une œuvre c'est cela, alors elle n'a pas grand intérêt. Les femmes écrivent moins pour perdurer que pour partager. Pour celles qui ont fait le choix de la maternité, perdurer par ce biais leur semble plus pérenne, plus efficace. L'immortalité par les voies de l'esprit ou les voies naturelles ? Certaines ont déjà fait leur choix.

(Ce chapitre sera développé dans mon essai sur l'Écriture et la Maternité)

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