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vendredi 13 avril 2012

Réponse à l'emission : Question à la Une





« Questions à la Une : Faut-il avoir peur de l'Islam ? »


Hier soir, j'ai regardé avec intérêt, mais l'amertume au cœur, le reportage que la RTBF et « Questions à la Une » consacraient à la communauté musulmane. Approchée et suivie pour cette émission par Frédéric Deborsu et son équipe dans une école où j'animais un débat sur la multiculturalité avec des élèves de rhétorique, puis au sein d'un atelier théâtre où je travaille avec un groupe de femmes à Molenbeek, j'avais l'espoir qu'un projecteur viendrait enfin éclairer l'identité plurielle qui caractérise la plupart des enfants de l'immigration, mais qui reste méconnue par la grande majorité de la population belge.

Oui, j'y ai cru, sincèrement (naïvement ?), j'ai appelé de tous mes vœux que cette émission importante qu'est « Questions à la Une » fasse enfin sortir de l'ombre cette majorité silencieuse – peut-être trop – et progressiste donc je fais humblement, mais fermement partie. J'ai caressé l'espoir que, dans cette tempête islamiste et fondamentaliste qui balaie le monde, « Questions à la Une » serait ce phare qui donne l'espoir au marin égaré.

Et puis, hier soir, la douche froide ! une fois encore, une de fois de plus – une fois de trop ? – cette litanie immuable, lancinante, lassante, récurrente depuis le 11 septembre 2001 : « Faut-il avoir peur de l'Islam ? ».



Frédéric Deborsu, je m'adresse à toi, directement (nous nous sommes tutoyés dès notre première rencontre, continuons donc à le faire !) Je te rappelle le début du courriel que tu m'as fait parvenir le 12 février dernier : « (...) Après le reportage sur le Prince Laurent, je me penche avec plaisir, passion et surtout avec objectivité et intérêt sur l'intégration, réussie (ou non) des Maghrébins de Belgique. L'objectif est large. De la récupération politique des partis traditionnels aux success-stories en passant par le succès du voile et le retour des jeunes à la mosquée, sans oublier les valeurs essentielles de l'Islam. Vaste programme ; j’aimerais évidemment des interventions sans langue de bois, mais pas sans nuance. Bref, votre avis compte pour moi (...) »

Avant d'accepter, je l'avoue aujourd'hui, j'ai hésité. J'ai pensé : « Malika, quoi que tu dises, quoi que tu fasses, il en disposera à sa guise, selon sa volonté et au nom de la liberté et de l'objectivité du journaliste. » Oui Frédéric dès le départ, j'étais consciente de ton pouvoir et de ma faiblesse, mais j'ai voulu relever le défi. J'ai voulu, en te présentant les comédiennes de la pièce de théâtre sur laquelle je travaille, te prouver que même au cœur d'une commune comme Molenbeek, des femmes s'expriment librement sur tous les sujets mêmes les plus tabous avec comme objectif de faire évoluer les mentalités. Mais ça, tu ne l'as pas compris, ou pas voulu le comprendre, malgré le temps que tu as passé avec elles dans une discussion animée qui m'a littéralement enchantée.

Qu'y avait-il de neuf dans ton émission d'hier ? Quelles « success-stories » as-tu retracées ? Quels portraits de l'immigration réussie as-tu brossés ? Quels « objectifs larges », as-tu ratissés ? Aucun ! Entre l'adolescente en hidjab intégral qui ne serre pas la main aux hommes et l'ado maquillée à outrance, les fesses serrées dans un short aguicheur, où doivent, où peuvent se situer les autres ? Mes nièces, mes cousines, mes belles-sœurs, mes amies, mes comédiennes, qui sont infirmières, enseignantes, secrétaires, médecins, juristes, universitaires, politiciennes ou même simplement mères de famille enseignant à leurs enfants les valeurs de l’identité multiples ? Oui Frédéric, elles existent, mais vers celles-là tu as omis d'aller.

Oui, il existe des cons misogynes qui se prétendent musulmans ; ceux-là, tu les as trouvés, tu les as mis en lumière. Oui, il y a des imams qui en portent le titre, mais qui ne retiennent du Coran que les chapitres servant l'étroitesse de leur esprit ; de ceux-là, tu as relayé les discours. Mais pourquoi ont-ils tant d'importance à tes yeux pour ainsi occulter la masse des musulmans ouverts, tolérants, intégrés, sincèrement adeptes de la démocratie, de la modernité, de l'égalité entre l'homme et la femme ? Ne viens pas dire que tu les as évoqués : tes quelques précautions oratoires, surtout énoncées pour mettre en exergue la dénonciation – justifiée, bien sûr – des extrémistes n'ont en rien mis leur travail quotidien en valeur. Les discours fondamentalistes existent certes, mais s'ils étaient vraiment légion, si l'influence de ces imams intégristes était telle que tu le laisses supposer, si les recueils misogynes, dont tu nous as fait une si brillante lecture, étaient le « petit livre rouge » du musulman, notre société à l'heure qu'il est serait en proie à une véritable guerre civile. Depuis dix ans je travaille à une meilleure compréhension mutuelle des communautés qui composent notre paysage ethnique, j'ai rencontré des milliers d'élèves, des centaines d'enseignants, des responsables d'ASBL qui ont dans leurs missions l'interculturalité et qui sont conscients (comme j'en suis consciente dans les écoles) qu'il faut, en effet, sans cesse remettre son ouvrage sur le métier. Je puis t'affirmer que les choses évoluent. Elles évoluent par la discussion. Elles évoluent surtout par la connaissance. Une connaissance qui doit être multidirectionnelle. Cette indispensable connaissance, en quoi ton émission l'a-t-elle servie ?

Laquelle avais-tu de cette communauté avant le 12 février 2012 ? Deux mois, seulement, entre ton mail et la diffusion de ton reportage, permets-moi de te féliciter pour ta capacité d'analyse et d'assimilation d'une situation sociale, politique et religieuse que des sociologues et des anthropologues étudient en Belgique depuis des décennies sans avoir acquis les certitudes qui sont les tiennes.

Frédéric, je prends acte du fait que mon parcours, de même que celui de tant d'autres qui œuvrent sans relâche en faveur d'un islam intégré et contre un islam intégriste, et ce dans l’intérêt des diverses communautés constituant notre pays, ne t'a pas semblé digne d'intérêt. J'ai hésité, je t'ai fait confiance, je n'ai pas de regrets, seulement de la tristesse et, je l'avoue, une certaine rancœur. Je réalise une de fois plus combien nous sommes solitaires, nous, issus de l'immigration maghrébine (ou autres, mais c'est la nôtre qui est ici fustigée), qui nous voulons, nous sentons progressistes. Combien décidément nous sommes inintéressants pour la machine de médias censés être au service du public, mais préférant à l'exposé objectif d'une réalité complexe un sensationnalisme sans doute plus garant d'audience.



Malika Madi



Ecrivain

8 commentaires:

  1. Bonjour,
    Après avoir vu le reportage,j'étais moi même sous le choc.."c'est donc si grave que ça?.." je m'interrogeais..Certains qualifient le reportage d'islamophobe, je ne suis pas d'accord..Mais de là à dire qu'il dépeint la réalité, j'avais tout de même un doute..Je tenais donc à vous remercier d'avoir publié ce message..Parce que même quand on essaie d'avoir l'esprit critique, les images laissent leurs marques. Et je rejoins votre écœurement face aux médias qui préfèrent véhiculer la peur et l'angoisse plutôt que l'intelligence.

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  2. Votre article me conforte dans le fait que les médias usent et abusent de la naïveté et crédulité des téléspectateurs prêt à croire tout ce qu'on veut bien leur faire avaler. La bouche grande ouverte sans se poser de question! Je suis navrée pour vous qui avez été flouée, je suis persuadée que les stéréotypes que nous avons eu l'occasion de (re)voir ne sont pas la majorité. Entre nous des sales cons machistes, des gens fermés, des imbéciles, il y a en a dans toutes les cultures et partout dans le monde! MErci pour le partage ;)

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  3. Merci pour ce texte. Je l'avoue : j'ai pris une claque. Et pour cela, pour m'avoir rendu mon sens critique, je vous remercie infiniment.
    Vous avez mille fois raison de rapporter ici les pratiques de ces journalistes en quête de LA sensation pour faire LE reportage dont "tout le monde" parlera. C'est irrespectueux, vil et mensonger.
    Je souhaite que votre message se diffuse et que les gens qui en prendront connaissance voient clairement les manipulations à l'oeuvre pour fabriquer leur opinion et celles des autres, moins chanceux, qui n'ont pas l'occasion d'accéder à votre texte.
    Merci encore !

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  4. Félicitations pour ce post qui prend encore plus d'importance alors que le débat se porte aujourd'hui sur la défense corporatiste des journalistes face aux méchants qui les critiques.
    Un seul petit bémol, en tutoyant Deborsu dans le texte, vous créez une proximité dont les journalistes usent et abusent. Le vouvoiement crée la distance nécessaire à l'objectivité dont certains journalistes manquent cruellement.
    Bonne continuation
    Serge Federico

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  5. Bonjour,
    Merci pour votre témoignage. Je partage votre sentiment et souhaite votre dire ma gratitude pour vos actions.
    Une excellente journée
    Eric Lemaire

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  6. Merci de m'avoir censuré parce que je ne partage pas votre point de vue. C'est bien de cela que je parlais, du vivre ensemble. Et accepter la critique. J'aurais espéré une réponse en lieu et place de cette censure idiote. Ca a le mérite d'être clair...

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    1. Joachim, votre post n'a pas été publié, je n'en ai aucune trace. Vérifiez de votre côté au pire refaite un essai. Cordialement

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  7. Merci pour ce texte très éclairant. Bonne continuation. Altay Manço amanco@irfam.org

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