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vendredi 23 novembre 2012

L'étincelle qui embrasa le monde


Rêves d'hiver au petit matin
 
Les printemps arabes vus par 50 écrivains et dessinateurs
Textes inédits et dessins receuillis par Bernard Magnier
 
Editions Elyzad 2012
 
Tunis, Tunisie
 
 
L’étincelle qui embrasa le monde

Malika Madi

« Ce jour-là, les agents municipaux lui avaient confisqué son outil de travail et l'un d'eux l'avait giflé. Il s'est alors rendu à la municipalité, puis au gouvernorat pour se plaindre, mais ici, à Sidi Bouzid, il n'y a personne pour nous écouter… »1

Mon frère était un homme simple, un homme de la terre que la terre a avalé l’année de ses vingt-six ans. Besbouss, c’est ma mère qui lui a offert ce surnom, s’était levé le matin, avait passé un peu d’eau fraiche sur son visage puis s’était longuement regardé dans le miroir. Une journée comme les autres, une journée de galère où gagner de quoi survivre est une gageure. Son rêve ? S'offrir une camionnette pour ne plus avoir à pousser cette charrette qu’il tentait d’achalander de fruits et de légumes frais pour ensuite aller les vendre sur les trottoirs de Sidi Bouzid. Mohamed, sa charrette et sa balance étaient nos seuls biens.

La mort de notre père, survenue lorsque nous n’étions encore que des enfants de la maternelle, nous révéla trop vite la brutalité du destin ingrat que la vie réserve aux indigents. Pendant sept ans, les sbires du pouvoir se serviront dans sa caisse, lui appliqueront des amendes ou lui confisqueront sa marchandise. Il faut connaître les bonnes personnes pour éviter les pots de vin ou les arrestations arbitraires. La pauvreté, à travers le monde, est une ignominie, quel qualificatif lui attribuer lorsqu’elle est subie dans un pays où la corruption est élevée au rang d’institution ?

Le 17 décembre 2010, nous nous étions levés à l’aube, comme tous

les matins. Mohamed avait passé un peu d’eau fraiche sur son

visage avant d’avaler, à la hâte, le café au lait bien sucré que je lui

 avais préparé. Il avait plongé son regard dans le mien. Je ne peux

pas expliquer pourquoi ce matin-là nous nous étions regardés aussi

longuement alors que jamais nous ne l’avions fait par le passé. Il a

 posé son bol dans l’évier. Par pudeur, je n’ai pas levé les yeux sur

son visage, mais juste aperçu sa main droite et l’index qui effleurait
 
le reste de la mousse de lait sur le bord extérieur de la tasse. J’ai

entendu la porte se refermer derrière lui puis le mouvement des

 roues de sa vieille charrette déchirer la quiétude d’un matin de

 décembre dans le nombril de la Tunisie. Lorsqu’il s’est éloigné,

 j’ai fermé les yeux et j’ai prié. Bien après sa mort, un grand
 
écrivain rédigea ces mots : « un homme simple, comme il y en a

 des millions, qui, à force d'être écrasé, humilié, nié dans sa vie, a

 fini par devenir l'étincelle qui embrase le monde ». 

1 Leïla Bouazizi, sœur de Tarek dit Mohammed.

2 Par le Feu, Tahar Ben Jelloun, éditions Gallimard

dimanche 11 novembre 2012

Espace Magh le samedi 15 décembre à 15 h : Malika Madi Festival Femmes et Migrations



Agenda

LITTERATURE
Samedi 15 décembre 2012

Rencontre avec Malika Madi Festival Femmes et Migrations

15 h 
Entrée libre
Malika Madi représente un fabuleux mélange entre deux cultures : belge et berbère. Son premier roman Nuit d’encre pour Farah a fait sensation. Il lui a valu le Prix de la Première OEuvre décerné par la Communauté française de Belgique et a été nominé pour le Prix des Lycéens en 2003. Auteure de quatre romans et d’un essai, elle se lance aujourd’hui dans l’écriture théâtrale et adapte pour le cinéma son roman Les silences de Médéa. Dans les écoles, Malika Madi anime régulièrement des ateliers d’écriture.

DATES

LU10décembre201218.30

réservez
ESPACE MAGH - Rue du Poinçon 17 - 1000 Bruxelles - Tel. +32 (0)2 274 05 10 - Fax +32 (0)2 274 05 20 - info@espacemagh.be


 




mercredi 13 juin 2012

Lecture publique à Dar El Amal


Le samedi 23 juin prochain à 14 h


À Dar El Amal Rue de Ribaucourt, 51 1080 Molenbeek


Aura lieu la lecture publique d'une création collective qui verra le jour fin 2012.


Ben Hamidou, comédien, directeur de Smoners Asbl, Gennaro Pitisci, metteur en scène, directeur du théâtre Brocoli et moi-même serons heureux de vous présenter le travail de nos huit comédiennes amatrices, mais à l'implication toute professionnelle.


L' histoire :

Quatre générations de femmes originaires du Rif marocain avec les succès complicités, l'amour, les conflits, les heurts et les malheurs de personnalités aussi diverses que passionnantes.


Tout se vit sereinement dans cette famille jusqu'au jour où se posent les questions : "Que va-t-on faire de l'arrière-grand-mère ? Qui va la garder ? À quel rythme la partager ? " L'une d'elles dira alors : " Parait qui a un home pour musulmans qui va ouvrir à Molenbeek ! " La bombe est lâchée ! Deux clans se forment ; celui pour le placement de la matriarche, évoquant les temps qui changent et la vie active qui les happe et celui contre, revendiquant les us, les traditions, le devoir envers les anciens.


Tout cela traité avec humour et second degré.


Bienvenue à Dar El Amal pour connaître la suite.


L'entrée est gratuite.










samedi 26 mai 2012



Albert Camus
Albert Camus ou l'intemporalité d'une œuvre


Dire d' Albert Camus qu'il est l'un des plus grands écrivains de l'histoire de la littérature mondiale est un euphémisme. Camus n'écrit pas, il expose. Camus ne décrit pas, il "habite". Chaque phrase et chaque mot choisi semblent avoir été conçus par lui pour définir, à l'instant même où il écrit, ce pan des émotions humaines qu'il est l'un des rares romanciers à décrire de l'intérieur. N'est pas prix Nobel de littérature qui veut. Il le reçoit le 10 décembre 1957 "Pour l'ensemble d'une œuvre qui met en lumière, avec un sérieux pénétrant, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes" .


Albert Camus est né en Algérie en 1913 dans un village Constantinois. Il ne connaitra jamais son père qui meurt à 28 ans alors que Camus n'a pas encore un an. Il garde de lui une photo et une anecdote ; "son dégoût devant le spectacle d'une exécution capitale". Cette évocation sera reprise dans son magistral roman "L'étranger" où son personnage principal connaîtra le même ressentiment alors qu'il est lui-même condamné à mort. Élevé par sa mère, mais surtout par une grand-mère pauvre et autoritaire dans le quartier misérable de Belcourt, à Alger, Camus dira cette phrase magnifique : « La misère m'empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l'histoire ; le soleil m'apprit que l'histoire n'est pas tout. » Camus éprouve pour sa mère un amour profond, mais il n'y aura jamais de véritable communication entre eux. C’est une femme exténuée par le travail, à demi-sourde et presque analphabète. Pendant la guerre qui opposa la France aux indépendantistes algériens, Camus publie en 1955 et 1956 des articles dans le journal l'Express d'une grande lucidité sur les exactions commises aussi bien par la France que par les combattants pour l'indépendance. Déjà en 1939, lorsqu'il sera envoyé en reportage en Kabylie, il dénoncera l'atroce et misérable vie des populations 1 " j'ai mal à l'Algérie" dira-t-il, mais lors de la remise du prix Nobel de littérature en 1957, en réponse à une question que lui pose un jeune algérien, il dira cette phrase qui suscita beaucoup de commentaires à l'époque : "J'ai toujours condamné la terreur, je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément dans les rues d'Alger, par exemple et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois en la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice."

1-Voir à ce sujet l'article qu'il a écrit en 1939 pour le quotidien l'Alger républicain et que je reprends tel quel plus bas.  

L'absurde

Les historiens voient dans l’œuvre de Camus une empreinte existentialiste mais Camus refuse ce genre défendu par Sartre, un temps son ami avant de devenir son grand ennemi. Camus travaille l'absurde et ce qui fascine dans son œuvre est justement le traitement de l'absurde. Cette manière qui lui est propre de voir le monde, la vie, le temps qui passe et qui s'inscrit en nous et malgré nous. La vie vaut-elle la peine d'être vécue ? Pour la plupart des hommes, vivre se ramène à « faire les gestes que l'habitude commande ». Mais le suicide soulève la question fondamentale du sens de la vie : "Mourir volontairement suppose qu'on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l’absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de cette agitation quotidienne et l'inutilité de la souffrance"

Camus aime la vie, les femmes, l'Algérie, le soleil. Il écrit et prend du plaisir à créer pour le théâtre. Ses pièces sont très (trop ?) littéraires, mais il s'en fout, il met en scène et joue même parfois lui-même sur scène. Alors que Sartre éprouve un dégout pour la littérature, Camus y exprime tout le mal-être de l'homme, toute sa face sombre et la terrible remise en question du sens et de la raison même de la vie. « Je tire de l'absurde, dit Camus, trois conséquences qui sont  ma révolte, ma liberté, ma passion. Par le seul jeu de ma conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort - et je refuse le suicide ». Ainsi se définit l'attitude de « l'homme absurde ».



Misère de la Kabylie.


Albert Camus


L'Alger républicain, 1939


Par un petit matin, j'ai vu à Tizi-Ouzou des enfants en loques disputer à des chiens kabyles le contenu d'une poubelle. À mes questions, un Kabyle a répondu : « C'est tous les matins comme ça. » Un autre habitant m'a expliqué que l'hiver, dans le village, les habitants, mal nourris et mal couverts, ont inventé une méthode pour trouver le sommeil. Ils se mettent en cercle autour d'un feu de bois et se déplacent de temps en temps pour éviter l'ankylose. Et la nuit durant, dans le gourbi misérable, une ronde rampante de corps couchés se déroule sans arrêt. Ceci n'est sans doute pas suffisant puisque le Code forestier empêche ces malheureux de prendre le bois où il se trouve et qu'il n'est pas rare qu'ils se voient saisir leur seule richesse, l'âne croûteux et décharné qui servit à transporter les fagots. Les choses, dans la région de Tizi-Ouzou, sont d'ailleurs allées si loin qu'il a fallu que l'initiative privée s'en mêlât. Tous les mercredis, le sous-préfet, à ses frais, donne un repas à 50 petits Kabyles et les nourrit de bouillon et de pain. Après quoi, ils peuvent attendre la distribution de grains qui a lieu au bout d'un mois. Les sœurs blanches et le pasteur Rolland contribuent aussi à ces œuvres de charité.

On me dira : « Ce sont des cas particuliers... C'est la crise, etc. Et, en tout cas, les chiffres ne veulent rien dire. » J'avoue que je ne puis comprendre cette façon de voir. Les statistiques ne veulent rien dire et j'en suis bien d'accord, mais si je dis que l'habitant du village d'Azouza que je suis allé voir faisait partie d'une famille de dix enfants dont deux seulement ont survécu, il ne s'agit point de chiffres ou de démonstration, mais d'une vérité criante et révélatrice. Je n'ai pas besoin non plus de donner le nombre d'élèves qui, dans les écoles autour de Fort-National, s'évanouissent de faim. Il me suffit de savoir que cela s'est produit et que cela se produira si l'on ne se porte pas au secours de ces malheureux. Il me suffit de savoir qu'à l'école de Talam-Aïach les instituteurs, en octobre passé, ont vu arriver des élèves absolument nus et couverts de poux, qu'ils les ont habillés et passés à la tondeuse. Il me suffit de savoir qu'à Azouza, parmi les enfants qui ne quittent pas l'école à 11 heures parce que leur village est trop éloigné, un sur soixante environ mange de la galette et les autres déjeunent d'un oignon ou de quelques figues.
À Fort-National, à la distribution de grains, j'ai interrogé un enfant qui portait sur son dos le petit sac d'orge qu'on venait de lui donner.
- Pour combien de jours, on t'a donné ça ?
- Quinze jours.
- Vous êtes combien dans la famille ?
- Cinq.
- C'est tout ce que vous allez manger ?
- Oui.
- Vous n'avez pas de figues ?
- Non. Vous mettez de l'huile dans la galette ?
- Non. On met de l'eau.
Et il est parti avec un regard méfiant.
Est-ce que cela ne suffit pas ? Si je jette un regard sur mes notes, j'y vois deux fois autant de faits révoltants et je désespère d'arriver à les faire connaître tous. Il le faut pourtant et tout doit être dit.
Pour aujourd'hui, j'arrête ici cette promenade à travers la souffrance et la faim d'un peuple. On aura senti du moins que la misère ici n'est pas une formule ni un thème de méditation. Elle est. Elle crie et elle désespère. Encore une fois, qu'avons-nous fait pour elle et avons-nous le droit de nous détourner d'elle ?


Albert Camus est mort dans un accident de voiture en 1960.












































































vendredi 13 avril 2012

Réponse à l'emission : Question à la Une





« Questions à la Une : Faut-il avoir peur de l'Islam ? »


Hier soir, j'ai regardé avec intérêt, mais l'amertume au cœur, le reportage que la RTBF et « Questions à la Une » consacraient à la communauté musulmane. Approchée et suivie pour cette émission par Frédéric Deborsu et son équipe dans une école où j'animais un débat sur la multiculturalité avec des élèves de rhétorique, puis au sein d'un atelier théâtre où je travaille avec un groupe de femmes à Molenbeek, j'avais l'espoir qu'un projecteur viendrait enfin éclairer l'identité plurielle qui caractérise la plupart des enfants de l'immigration, mais qui reste méconnue par la grande majorité de la population belge.

Oui, j'y ai cru, sincèrement (naïvement ?), j'ai appelé de tous mes vœux que cette émission importante qu'est « Questions à la Une » fasse enfin sortir de l'ombre cette majorité silencieuse – peut-être trop – et progressiste donc je fais humblement, mais fermement partie. J'ai caressé l'espoir que, dans cette tempête islamiste et fondamentaliste qui balaie le monde, « Questions à la Une » serait ce phare qui donne l'espoir au marin égaré.

Et puis, hier soir, la douche froide ! une fois encore, une de fois de plus – une fois de trop ? – cette litanie immuable, lancinante, lassante, récurrente depuis le 11 septembre 2001 : « Faut-il avoir peur de l'Islam ? ».



Frédéric Deborsu, je m'adresse à toi, directement (nous nous sommes tutoyés dès notre première rencontre, continuons donc à le faire !) Je te rappelle le début du courriel que tu m'as fait parvenir le 12 février dernier : « (...) Après le reportage sur le Prince Laurent, je me penche avec plaisir, passion et surtout avec objectivité et intérêt sur l'intégration, réussie (ou non) des Maghrébins de Belgique. L'objectif est large. De la récupération politique des partis traditionnels aux success-stories en passant par le succès du voile et le retour des jeunes à la mosquée, sans oublier les valeurs essentielles de l'Islam. Vaste programme ; j’aimerais évidemment des interventions sans langue de bois, mais pas sans nuance. Bref, votre avis compte pour moi (...) »

Avant d'accepter, je l'avoue aujourd'hui, j'ai hésité. J'ai pensé : « Malika, quoi que tu dises, quoi que tu fasses, il en disposera à sa guise, selon sa volonté et au nom de la liberté et de l'objectivité du journaliste. » Oui Frédéric dès le départ, j'étais consciente de ton pouvoir et de ma faiblesse, mais j'ai voulu relever le défi. J'ai voulu, en te présentant les comédiennes de la pièce de théâtre sur laquelle je travaille, te prouver que même au cœur d'une commune comme Molenbeek, des femmes s'expriment librement sur tous les sujets mêmes les plus tabous avec comme objectif de faire évoluer les mentalités. Mais ça, tu ne l'as pas compris, ou pas voulu le comprendre, malgré le temps que tu as passé avec elles dans une discussion animée qui m'a littéralement enchantée.

Qu'y avait-il de neuf dans ton émission d'hier ? Quelles « success-stories » as-tu retracées ? Quels portraits de l'immigration réussie as-tu brossés ? Quels « objectifs larges », as-tu ratissés ? Aucun ! Entre l'adolescente en hidjab intégral qui ne serre pas la main aux hommes et l'ado maquillée à outrance, les fesses serrées dans un short aguicheur, où doivent, où peuvent se situer les autres ? Mes nièces, mes cousines, mes belles-sœurs, mes amies, mes comédiennes, qui sont infirmières, enseignantes, secrétaires, médecins, juristes, universitaires, politiciennes ou même simplement mères de famille enseignant à leurs enfants les valeurs de l’identité multiples ? Oui Frédéric, elles existent, mais vers celles-là tu as omis d'aller.

Oui, il existe des cons misogynes qui se prétendent musulmans ; ceux-là, tu les as trouvés, tu les as mis en lumière. Oui, il y a des imams qui en portent le titre, mais qui ne retiennent du Coran que les chapitres servant l'étroitesse de leur esprit ; de ceux-là, tu as relayé les discours. Mais pourquoi ont-ils tant d'importance à tes yeux pour ainsi occulter la masse des musulmans ouverts, tolérants, intégrés, sincèrement adeptes de la démocratie, de la modernité, de l'égalité entre l'homme et la femme ? Ne viens pas dire que tu les as évoqués : tes quelques précautions oratoires, surtout énoncées pour mettre en exergue la dénonciation – justifiée, bien sûr – des extrémistes n'ont en rien mis leur travail quotidien en valeur. Les discours fondamentalistes existent certes, mais s'ils étaient vraiment légion, si l'influence de ces imams intégristes était telle que tu le laisses supposer, si les recueils misogynes, dont tu nous as fait une si brillante lecture, étaient le « petit livre rouge » du musulman, notre société à l'heure qu'il est serait en proie à une véritable guerre civile. Depuis dix ans je travaille à une meilleure compréhension mutuelle des communautés qui composent notre paysage ethnique, j'ai rencontré des milliers d'élèves, des centaines d'enseignants, des responsables d'ASBL qui ont dans leurs missions l'interculturalité et qui sont conscients (comme j'en suis consciente dans les écoles) qu'il faut, en effet, sans cesse remettre son ouvrage sur le métier. Je puis t'affirmer que les choses évoluent. Elles évoluent par la discussion. Elles évoluent surtout par la connaissance. Une connaissance qui doit être multidirectionnelle. Cette indispensable connaissance, en quoi ton émission l'a-t-elle servie ?

Laquelle avais-tu de cette communauté avant le 12 février 2012 ? Deux mois, seulement, entre ton mail et la diffusion de ton reportage, permets-moi de te féliciter pour ta capacité d'analyse et d'assimilation d'une situation sociale, politique et religieuse que des sociologues et des anthropologues étudient en Belgique depuis des décennies sans avoir acquis les certitudes qui sont les tiennes.

Frédéric, je prends acte du fait que mon parcours, de même que celui de tant d'autres qui œuvrent sans relâche en faveur d'un islam intégré et contre un islam intégriste, et ce dans l’intérêt des diverses communautés constituant notre pays, ne t'a pas semblé digne d'intérêt. J'ai hésité, je t'ai fait confiance, je n'ai pas de regrets, seulement de la tristesse et, je l'avoue, une certaine rancœur. Je réalise une de fois plus combien nous sommes solitaires, nous, issus de l'immigration maghrébine (ou autres, mais c'est la nôtre qui est ici fustigée), qui nous voulons, nous sentons progressistes. Combien décidément nous sommes inintéressants pour la machine de médias censés être au service du public, mais préférant à l'exposé objectif d'une réalité complexe un sensationnalisme sans doute plus garant d'audience.



Malika Madi



Ecrivain

mardi 10 avril 2012

Je ne suis pas raciste mais...

Les éditions M.E.O. ont le plaisir de vous présenter

la réédition de l’ouvrage « Je ne suis pas raciste, mais… »

de Malika Madi et Hassan Bousetta

(précédemment paru aux éditions Luc Pire et indisponible)



Comment des jeunes perçoivent-ils aujourd’hui l’immigration, la diversité culturelle et en particulier l’islam et les musulmans ?

Entre janvier et juin 2006, Malika Madi a parcouru les écoles secondaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles et animé une centaine de rencontres en classe dans le cadre du projet “Écrivain à l’école”. Chacune de ces rencontres fut pour elle l’occasion d’ouvrir le dialogue avec des élèves de 4e, 5e et 6e secondaires sur la question de l’altérité et des thèmes qui s’y rapportent comme l’immigration, la diversité culturelle, l’islam, etc.

Grâce à l’appui et l’engagement des enseignants, chaque visite fut précédée d’une séance au cours de laquelle les élèves furent amenés à rédiger librement un texte sur leur perception de l’Autre. Tous ces témoignages ont ensuite été soigneusement rassemblés par Malika Madi et ont servi de point de départ, tout autant que de matière première, à la rédaction du présent ouvrage.

Ce texte a surtout la volonté de poursuivre l’échange et tente d’apporter un complément d’information par rapport à ces débats qui, à l’évidence, interpellent les jeunes. Pour répondre à ce défi, Malika Madi s’est tournée vers Anne Morelli et Hassan Bousetta, qui ont prêté leur concours à l’analyse des témoignages et à la rédaction du livre.




LES AUTEURS

Malika Madi est romancière et animatrice d’ateliers d’écriture. Son roman “Nuit d’encre pour Farah” a obtenu le Prix de la Première œuvre de la Communauté française de Belgique.

Hassan Bousetta est chercheur au FNRS et travaille à l’Université de Liège au Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations.

Anne Morelli, professeur de critique historique à l’Université Libre de Bruxelles, est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à l’immigration en Belgique.



ISBN : 978-2-930333-50-2 Nombre de pages : 120 Prix : 15,00 EUR



« L’actualité internationale fait souvent état de tensions religieuses ou communautaires. Cela suscite bien des questions dans les écoles, révèle des peurs et provoque des replis qu’ils soient identitaires ou sécuritaires. Comment protéger les valeurs de tolérance, de respect et préserver la jeunesse des stéréotypes et préjugés provoqués par la méconnaissance de l’autre, par l’ignorance des cultures ? C’est l’objectif de cet ouvrage collectif (1) qui livre un panorama didactique des concepts liés aux migrations et à ses chocs culturels. A la fois synthèse et plaidoyer multiculturel, l’ouvrage se prête à une utilisation plurielle.

(…)

La diversité culturelle est un des fondements de nos sociétés contemporaines. Il est devenu rare de trouver encore dans le monde des sociétés monoculturelles. Dans une société multiculturelle, il conviendra de vivre ensemble : de communiquer et de partager sur un même pied d’égalité. C’est là, bien évidemment, que se trouve toute la difficulté. Toute société basée sur le ghetto ne peut être une société multiculturelle démocratique.

(…)



Les sociétés démocratiques se trouvent souvent face à un dilemme : relativisme culturel ou ethnocentrisme ? Poussés à l’extrême, ces concepts ou points de vue peuvent aboutir à une justification de pratiques qui sont antinomiques aux droits et libertés fondamentales. Ces mêmes pratiques ne sont pas nécessairement le fruit du religieux mais trouvent leurs origines dans la culture ou la société (l’esclavagisme, la misogynie, la ségrégation). Peut-on au nom de traditions et du respect des traditions se détacher de sa propre culture pour comprendre – et assimiler ? - celle des autres ou bien faut-il adopter le regard philosophique des droits de l’homme comme une donne véritablement universelle ?

(…) »

Christine Donjean (Revue « Réflexions », Université de Liège)


EXTRAITS : QUELQUES RÉFLEXIONS D’ÉLÈVES


«Les cultures sont faites pour échanger. Mais la religion n’est pas la culture, et les gens se trompent beaucoup là-dessus. Les cultures doivent être échangées, pas la religion, ça ne crée que des disputes» (Jenny, 16 ans)

«C’est surtout les évènements qui se déroulent dans le monde, comme les attentats, qui me poussent à avoir cette méfiance envers les musulmans » (Matthieu, 17 ans)

«C’est dommage que les étrangers se regroupent au lieu de se lier avec les autochtones» (Mathilde 15 ans)

dimanche 18 mars 2012

Ces riches qui s'installent en Belgique

Ces riches qui s'installent en Belgique

On ne peut échapper à la déferlante médiatique sur la présidentielle française avec son lot de débats et de déballages, de contradicteurs et de gifles impromptues à coup de brochure sur le programme électoral. Le chômage, l'immigration, la crise économique, la crise de l'euro, la santé et, le plus interpellant pour la belge que je suis, le débat que mène aussi bien François Hollande que Nicolas Sarkozy sur les exilés fiscaux. Il y aurait donc de riches français, artistes, sportifs et chefs d'entreprise, qui quitteraient la France pour trouver le "paradis" en... Belgique ! Comment et pourquoi cela est-il possible ? Moi qui ne comprends pas plus le mandarin que le jargon économique, j'avais pourtant cru comprendre il existait en France un bouclier fiscal plutôt favorable aux plus riches de nos voisins. Alors que font-ils en Belgique ? En tant que citoyenne attachée à sa région (la Wallonie) je ne suis qu'une observatrice qui a parfois beaucoup de difficultés à comprendre les tenants et les aboutissants d'une politique ou d'une décision prise au nom de la collectivité. Prenons ma ville, La Louvière, sinistrée économiquement, (la province du Hainaut fait peine à voir et cela quelle que soit sa région ou sa commune) elle abritait la légendaire usine de faïencerie Royal Boch. Celle-ci n'en finit pas d'être démantelée (démembrée ?) mur après mur, dans une longue agonie, sous le regard résigné des louvièrois qui ne peuvent s'empêcher de lorgner vers elle dès qu'ils négocient le rond point de la gare du Centre. Pendant 170 ans, la manufacture Royal Boch fut une véritable fierté à La Louvière. Comme le souligne un descriptif sur un des sites officiels de la marque " La réputation internationale de cette faïencerie belge établie à La Louvière est le fruit d'une grande aventure qui mêle depuis le XIXe siècle des créations exceptionnelles et des noms prestigieux".

Usine Royal Boch(  avant)

Site Royal Boch (aujourd'hui)

Alors comment en est-on arrivé là ? c'est une histoire longue et compliquée d'une famille industrielle qui se scinda en deux et dont la branche germanique n'en finit pas de faire fructifier la marque outre Rhin sous le nom de Villeroy et Boch, alors que celle qui resta implantée à La Louvière ne fit preuve d'aucune initiative ou projection innovante en faveur de la marque. Et puis la Chine, dit-on. La Chine et ses prix casés, la Chine et sa main d’œuvre bon marché, la Chine et ses vraies raisons mais aussi les fausses excuses dont il est facile d'user pour expliquer les stratégies hasardeuses et les choix regrettables. Au final donc, des ruines à la vision d'apocalypse en plein Centre ville pour remonter le moral des 20 % de chômeurs hennuyers qui ne voient plus le bout du tunnel de la crise économique. Et à côté de ça, notre petit pays serait un paradis fiscal pour les grandes fortunes. Du délire !!! Pour échapper à l’impôt sur les grande fortune (l'ISF), de plus en plus de patrons de PME et de cadres détenteurs de stock-options prennent le chemin de la Suisse, de la Grande-Bretagne et de notre Belgique. Notre royaume qui ne taxe ni la fortune ni les gains boursiers, est l'objet d'une double immigration fiscale: des Pays-Bas et de France. Chez nos voisins du Nord, l'impôt sur la fortune qui existait depuis la fin du 19e siècle a été formellement supprimé en 2001. Mais pour être remplacé par un impôt de 30% sur le rendement du capital (...) Cela fait des années que les riches Néerlandais s'installent en Belgique pour des raisons fiscales. Lieu de prédilection: tout le long de la frontière, sur une zone qui va de la chic banlieue nord d'Anvers jusqu'aux Fourons (proches de Maastricht), en passant par la Campine (...)1

S'il nous était possible de survoler les choses pour les percevoir en hauteur on pourrait observer les très riches pour qui l'argent est une fin en soi au point de jouer de tous les stratèges pour en garder le plus possible (par des moyens légaux ou illégaux) et puis les autres, nous, la grande majorité, pour qui l'argent est uniquement nécessaire au maintien de la tête hors de l'eau (et peut-être trouver un équilibre heureux ). Entre ces deux pôles, les politiques qui ne savent plus où puiser, qui taxer, qui épargner etc. On laisse tranquille les chômeurs chef de famille parce qu'ils sont au chômage et chef de famille mais on se rappel au bon soin des travailleurs précaires parce qu'ils travaillent même s'ils sont précaires.

Vers notre pays, le flux les plus actifs, pour le moment, vient donc de France, où l' émigration est encouragée par des publicités publiées dans Le Figaro (quotidien notoirement de droite )et divers journaux financiers. Beaucoup des capitalistes exilés reçoivent l'aide de «passeurs» c'est le terme utilisé. Lesquels n'hésitent pas à demander 8.000 euros par consultation. Ils justifient ces honoraires par les «350 analyses et rapports à éplucher concernant uniquement les problèmes liés à la Convention fiscale franco-belge.»1 L'un de ces passeurs explique que si, naguère, la Suisse était la plus prisée, «aujourd'hui, le nirvana des riches, c'est la Belgique. Et dans le plus scrupuleux respect des lois. A son arrivée à Bruxelles, un émigré français ne doit même pas négocier ses impôts comme à Genève.»(MarcoVanHees Publié dans Solidaire le 1er février 2006)




Dans un article sur les exilés fiscaux je suis tombée sur cette croustillante observation : Dommage que tous les Français qui viennent habiter en Belgique ne célèbrent pas leur arrivée comme l'a fait Anne-Marie Mitterrand, il y aurait une fête toutes les semaines... Ah, le sourire du député bruxellois Yves de Jonghe d'Ardoye lorsqu'il raconte les agapes des expats venus de France. Il y a trois ans, la nièce par alliance de l'ancien président de la République avait organisé une grande soirée pour son obtention de la nationalité belge. Pleine d'humour, la maîtresse des lieux avait imaginé un carton d'invitation en forme de passeport et invité Michel Barnier, alors représentant de la France à la Commission européenne. L'histoire ne dit pas si les Halley (Promodès-Carrefour), Mallart (Novalliance), Taittinger et autres convives français qui ont quitté la France pour échapper à l'impôt sur la fortune inventé par l'oncle d'Anne-Marie ont goûté l'ironie de la situation... Ce qui est certain, c'est que la plupart de ces riches expatriés fiscaux - qui débarquent par Thalys entiers - évitent d'annoncer leur arrivée au champagne.

1http://frerealbert.be/fiscalite/impt-sur-la-fortune/la-belgique-ses-frites-sa-bire-ses-refuges-pour-grosses-fortunes/

mardi 10 janvier 2012

Bertrand Cantat au Manège

Communiqué de presse

Bertrand Cantat au Manège
Madame, Mademoiselle, Monsieur,

Nous prenons la liberté de vous écrire notre indignation et notre refus des violences exercées à l’égard des femmes, ici comme partout dans le monde.
Pour vous rappeler aussi que dans nos civilisations occidentales avancées, 20% des femmes, toutes classes sociales confondues, subissent au cours de leur vie des violences physiques ou psychiques, graves et répétées, de la part de leur conjoint ou de leur compagnon.
6 par mois, c’est le nombre de femmes qui, en France, succombent sous les coups de ceux-ci.
Monsieur Cantat a alimenté cette sinistre comptabilité.
Qu’il se retrouve (en toute légalité puisqu’il a accompli la peine à laquelle il a été condamné) aujourd’hui sur la scène d’un spectacle auquel on attribue une dimension internationale et qu’il y figure en haut de l’affiche, contribue pourtant à la banalisation d’actes innommables, voire à leur compréhension et à leur pardon.
Pour notre part, nous considérons comme stupéfiant et atterrant qu’une institution culturelle de l’ampleur du Manège de Mons (qui sera en outre le fer de lance de Mons 2015), copieusement financée par les pouvoirs publics de la Communauté Wallonie-Bruxelles, de la Ville de Mons et de la Province du Hainaut – dont des représentants siègent d’ailleurs dans les organes de décision – ait choisi d’accueillir le spectacle de Sophocle mis en scène par Monsieur Mouawad et de tolérer, ainsi, sur son plateau une présence significative et d’importance de Monsieur Cantat.
Théâtre des Rues
20, rue du Cerisier - 7033 Cuesmes