Translate

jeudi 27 octobre 2011

Le syndrome du Calimero


Le syndrome du Calimero



Nous gardons tous en mémoire Calimero, ce personnage de fiction, poussin anthropomorphe malchanceux, qui répétait inlassablement que le monde était « trop injuste ». Calimero, dans la série officielle est présenté comme le dix-septième poussin de la couvée d'une poule qui le renie car il est noir alors que tous les autres sont jaunes. Noir de la queue à la tête, il n'abandonne jamais la coquille de l'œuf dans lequel il est né.

Calimero est surtout connu des enfants qui ont grandi entre les années 1960 jusqu'à la fin des années 1970. Pour ma part, j'étais toujours terriblement émue par ce poussin mal compris, mal aimé, malheureux et solitaire. Ma fibre maternelle est née le jour où, pour la première fois, j'ai vu et entendu Calimero, je devais avoir cinq ou six ans. J'avais envie de l'adopter, de le prendre dans mes bras, de le protéger du monde rude et cruel jusqu'à accepter de recevoir les coups à sa place. Moi, j'étais forte, puisque potentiellement mère. Je pouvais donc, grâce à mon amour, lui offrir une nouvelle carapace solide en lui ôtant celle fragile et fissurée qu'il ne quittait jamais. Toute ma vie, je n'ai jamais cessé d'être la mère de Calimero. Enfant, adolescente, mère effective ou de substitution, mère sans faille et toujours vaillante. Les choses ont pris une ampleur conséquente lorsque je suis devenue la mère de mes propres enfants. Bravant les océans comme les amoncellements de vaisselle, gérant les conflits scabreux de l'ampleur de ceux traités par l'assemblée onusienne. Jamais malade, jamais fatiguée, jamais déprimée, toujours disponible, forte, en forme, souriante, pleine d’entrain. Conseillère, confidente, médiatrice, protectrice ! La mère de Calimero ne PEUT PAS se permettre de trébucher. Au quel cas, qui viellerait sur lui ?

Tout ça est une erreur incommensurable : tant que les démons de notre enfance ne sont pas affrontés, notre vie est dirigée par nos peurs. Pour devenir libre, il nous faut devenir adulte, ce qui ne va pas toujours de soi1.

Pour ma part, je suis devenue adulte très vite. Ma passion pour le Calimero remonte à l'enfance et la femme que je suis aujourd'hui ne cesse d'être troublée jusqu'au vertige par ce poussin au regard triste. Soulager sa peine est pour moi une sorte de sacerdoce, le mot est fort mais complètement adéquat. Nous pensons avoir grandi depuis la diffusion du dessin animé. Pourtant, il existe toujours un Calimero autour de nous. trente, quarante, cinquante ans, Calimero n'a pas d'âge ni de profil socio-professionnel particulier.  Un poussin fragile qui ne cesse de penser « que le monde est injuste » et que décidément, le bonheur n'est pas prévu dans le destin que la vie lui a tracé ! La mère poule (que je suis de  manière intrinsèque  et définitive) est là pour le rassurer, lui rappeler les aléas de la vie qui n’est pas « un long fleuve tranquille... » mais que je serai là, quoi qu'il advienne. Pourtant, au fur et à mesure de l’accumulation de petites misères quotidiennes, Calimero sature, s’épuise et la mère poule se sent impuissante, surtout lorsque le poussin se ramasse dans ce qui lui reste de coquille. Il se sent si fragile qu'il ne parvient pas à se laisser prendre. Il recule, s'effraye, renonce, se résigne et attend silencieusement que la roue tourne ou qu’une main le sorte de l’eau trouble et le sauve de la noyade, malgré lui !

Mais qui a dit que la vie était juste ? Cette idée que chacun a droit à sa part du gâteau est inscrite dans notre culture. Elle s’ancre pendant notre enfance, aux travers des paroles encourageantes dont nous inondent nos parents qui croient bien faire. “Si tu travailles bien à l’école, tu auras un bon boulot” C'est loin d'être évident dans la réalité. Quand nos efforts ne sont pas récompensés, comme Caliméro nous crions à l’injustice. Calimero pour devenir un jour un homme doit se poser les bonnes questions. Les questions qui permettent de toucher à l’essentiel, de se remettre en cause : Accepter l'échec pour mieux rebondir, accepter de recevoir mais aussi savoir donner. Calimero doit se débarrasser de sa coquille qui lui tombe sur les yeux et l'empêche de voir le monde, il doit intégrer l'idée que la mère poule a ses failles et à besoin elle aussi d'écoute et d'attention. La mère poule a le droit de pleurer et de ne pas se cacher pour le faire. La mère poule n'est pas invulnérable et immortelle. Il doit s'émanciper d'elle, couper le cordon mais garder un lien, plus constructif, plus fort, un lien qui construit, qui libère et non pas qui entrave. Calimero est prisonnier d'une geôle qu'il a érige lui-même. La mère poule peut venir lui apporter des oranges tous les jours mais plusieurs clés permettent de le libérer et il est le seul à les posséder.


1-(Isabelle Levert, psychologue )
<><>
<><>



dimanche 9 octobre 2011

Sappho, son héritage aux écrivaines contemporaines

Sappho, son héritage aux écrivaines contemporaines

(Extrait de mon nouvel ouvrage )

Sappho


Sappho est probablement l'écrivaine lesbienne la plus connue de l'histoire de la littérature. Poétesse grecque qui vécue au VIIè siècle à Mytiline, sur l'île de Lesbos, son nom est d'avantage lié au choix de sa sexualité qu'à son œuvre poétique.  Interressant ce poème qui, avec une économie de mots, défini l'être, homme ou femme, que l'amour rend unique :

Pareille à la pomme douce qui rougit au bout de la branche, au plus fin sommet de l'arbre, l'ont-ils oubliée les cueilleurs de pommes ? Non, ils ne l'ont pas oubliée, mais ils n'ont pas pu l'atteindre.

En lisant les différents articles publiés par les historiens spécialistes de la Grèce Antique, il s'avère que Sappho ait été mariée et aurait eu une fille, Cléis. Elle l'évoque dans se fragment :

Je possède une jolie petite fille, pareille
à un bouquet de fleurs d'or, ma Cléis chérie,
que je ne donnerais ni contre toute la Lidye
ni contre l'aimable...
(la vertu ?)

Le terme de lesbienne tient son origine du lieu de naissance de Sappho : Lesbos 1, fréquemment visité par les touristes lesbiennes. Les poèmes de Sappho, passionnés et durs, sont inspirés par les femmes. Rien de fleur bleue et de romantique mais toujours violent et puissant :

L'homme fortuné qu'enivre ta présence
Me semble l'égal des dieux, car il entend
Ruisseler ton rire et rêver ton silence,
Et moi, sanglotant,

Je frissonne toute et ma langue est brisée :
Subtile, une flamme a traversé ma chair
Et ma sueur coule ainsi que la rosée
Âpre de la mer ;

Un bourdonnement remplit de bruits d'orage
Mes oreilles, car je sombre sous l'effort,
Plus pâle que l'herbe, et je vois ton visage
A travers la mort...


Elle ne parle pas de l'amour comme le font généralement les poètes. Elle emploie des termes brutaux pour évoquer la ou les passion(s) qu'elle ne parvient pas à maitriser. Le « saphisme », dans l'esprit collectif, défini le libertinage lesbien. A en croire Claude Mossé, historienne française, spécialiste de l'histoire de la Grèce antique, les mœurs étaient très libres dans ce type de société. Sappho n'était donc pas plus libertine que les Grecques de l'époque mais ses textes ou plutôt une infime partie de ceux-ci ( Les scribes chrétiens médiévaux n'ont pas jugé utile d'en faire la préservation ) font d'elle l'initiatrice des « amitiés honteuses ». Sappho aurait fondé puis dirigé à Mytilène une école pour jeunes filles où elle a enseigné la poésie la musique, la danse et les mystères d'Aphrodite ( Aphrodite est la déesse grècque de la germination, de l'amour, des plaisirs et de la beauté. Je retiens ce paradoxe qu'on accorde à la déesse, deux notions différentes : celle du plaisir de la chair, plus « terrienne » en quelque sorte, et celle de l'amour spirituel, pure et chaste qu'inspire sa beauté. La beauté et le plaisir de la chair seraient, selon les grecs anciens, et donc bien avant l'apparition des religions monothéistes, deux conceptions opposées. La bestialité de l'acte sexuel, impure et la perfection de la beauté, pure ! ).

Pour en revenir à Sappho, c'est donc parmi les élèves de son école qu'elle trouvait ses amantes. L'objectif de cette école est de permettre aux jeunes élèves de réaliser un idéal de beauté féminine que les Muses et la déesse qu'elles honorent ont les premières incarné. Les jeunes filles ne deviendront pas des prêtresses d'Aphrodite, elles se marieront tout comme leur maîtresse Sappho !




1 -Cette île et en particulier la ville de Eresos, rappelle Eros, Dieu grec de l'amour, dont le nom offrit la sémantique à des mots comme « érotique », « érogène » et tous ses dérivés. Éros est honoré en Grèce antique spécialement comme le Dieu de la pédérastie.

André Bonnard est le traducteur de la poésie de Sappho