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mardi 28 décembre 2010

On ne nait pas femme on le devient ?

Simone de Beauvoir


« On ne nait pas femme on le devient » nous assurait Simone de Beauvoir dans « Le Deuxième Sexe ». Cette affirmation a fait couler beaucoup d'encre et a fait réagir d'innombrable lecteurs (initiés aux textes philosophiques ou ne l'étant pas) et lectrices (féministes ou conservatrices). En ce qui me concerne, ni initiée aux textes philosophiques, ni tout à fait profane, ni féministe, ni conservatrice, je crois sincèrement que l'on nait « fille » et que l'on devient « femme ». Pour avoir élevé deux garçons et une fille, je peux témoigner qu'il existe bel et bien et très tôt, une part de féminité instinctive chez la petite fille.

D'aucuns diront que c'est notre regard, pendant les premières heures de sa vie, qui font du bébé une fille ou un garçon (en dehors du sexe à proprement parlé), que notre héritage culturel fondé sur le patriarcat, codifie les gestes et les attitudes que nous pouvons (devons ?) avoir selon le sexe du bébé. Il est vrai qu'il y a un peu de cela. Néanmoins, Il existe en la femme (et avant cela en la petite fille) ce que je nommerais « un réflexe » maternel. L'espèce est composée de mâles et de femelles, c'est une réalité qui remonte au début de l'humanité, et cette évidence s'accompagne de caractéristiques qui distinguent les deux sexes de manière précise et inéluctable. Parmi elles ? Le besoin de materner. Simone de Beauvoir ne l'a jamais réellement ressenti dans la mesure où la question de la maternité a vite été balayée par son besoin de vivre une vie intellectuelle intense et sans entraves (à imaginer que la maternité puisse en être une). Son père espérait avoir un fils. Toute l'enfance de Simone sera marquée par le fait d'être une femme. D'ailleurs, son père lui dira à maintes reprises : « Tu as un cerveau d'homme ». Il est persuadé que seules les études peuvent sortir les filles de la condition médiocre dans laquelle elles se trouvent. Née en 1908, de Beauvoir grandit pendant la Grande guerre et a 31 ans lorsqu'elle assiste au déclenchement de la seconde guerre mondiale. Les femmes connaissent alors des conditions de vie tout à fait exceptionnelles. Jusqu'à quel point de Beauvoir est-elle influencée, imprégnée par son époque et sa condition d'intellectuelle pour écrire Le Deuxième Sexe et prendre part de manière si intense au mouvement existentialiste et féministe ? Son choix de ne pas enfanter est-il une conséquence due au contexte social et politique de  son  époque ou intrinsèquement lié à sa personnalité ?

Il est difficile de prendre le cas de Simone de Beauvoir « comme un exemple de femme qui renonce à la maternité pour se consacrer totalement à son travail de philosophe, d'écrivain et jouir d'une totale liberté intellectuelle » dans la mesure où cette femme est une exception dans le monde des Lettres et de la vie intellectuelle française. (Quand je parle de liberté intellectuelle, à ce stade, j'entends: sans autres préoccupations que la réflexion et l'écriture). Simone de Beauvoir est incomparable, contestée et contestable mais incomparable. Elle rejette avec beaucoup d'énergie « la mystification » que quelques romancières de son époque font de certaines caractéristiques de la féminité : Il ne s'agit pas pour les femmes de s'affirmer comme femme, dira-t-elle pour répondre à Anaïs Nin qui jugeait que la puissance créatrice de la femme résidait dans sa proximité avec la nature, désirée et en même temps redoutée par l'homme.

Pour l'essai que je consacre à « Écriture et Maternité » je ne peux omettre d'évoquer Simone de Beauvoir mais ne peux en aucun cas généraliser sa situation. J'entends déjà mes collègues écrivaines s'insurger et affirmer que chaque destin de femme, déjà écrivain ou encore « écrivante », est singulier et incomparable mais celui de la première femme à intégrér l'École Normale Supérieure, reste au dessus de la courbe des destinées hors normes. Il n'est pas dans mon objectif ici de faire la liste des qualités intellectuelles qui firent de Simone de Beauvoir ce qu'elle fut de son vivant et 25 ans après sa mort, c'est à dire l'une des images les plus tenaces du mouvement féministe et existentialiste, mais de comprendre, à partir de ses réflexions philosophiques, quels étaient ses rapports à la maternité et quels étaient ses critères pour la refuser. Si l'on parvient un tant soit peu à imaginer le contexte social des premières décennies du XXème siècle (les guerres, un sens du noyau familial encore tenace, la foi et la religion en déclin mais toujours très présentes dans les foyers...) pourquoi le mariage et les enfants représentaient pour elle un piège, des entraves à l'épanouissement de la femme ? Dans toute son œuvre (romans, essais, textes philosophiques), de Beauvoir a construit une réflexion qui rejette en bloc les signes, même minimes, qui distinguent l'homme de la femme. Pourquoi son athéisme, sa bisexualité, son féminisme et sa défense de la pensée existentialiste, fondée par Sartre, ne laissaient-ils à ce point une ouverture à quelques traits de la féminité ancestrale ? Tout rejeter en bloc sert-il la cause des femmes ? Le mariage et les enfants sont des responsabilités beaucoup plus lourdes pour elles que pour les hommes et c’est en partie à cause de leur rôle à la maison qu’elles ne se réalisent pas comme individus hors de la maison. La plupart du temps la femme sacrifie sa carrière pour celle de son mari (...) dans un monde où les deux sexes seraient égaux, les deux seraient plus libres (...) Si l’homme donne la possibilité aux femmes d’avoir une carrière significative, elle va moins se focaliser sur lui et elle pourra être un peu plus indépendante.

Dans « Écriture et Maternité » je développe un chapitre consacré à Simone de Beauvoir en analysant sa réflexion à partir de son essai « Le Deuxième Sexe ».

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